Sport pour l’égalité femmes-hommes en Francophonie : un outil pour déconstruire les stéréotypes de genre ?
Qu’est-ce qu’un sport de fille ? Et un sport de garçon ? Ces deux questions vous ont sans doute amené à penser à des sports considérés « féminin » ou « masculin », preuve que le sport n’échappe pas aux stéréotypes en matière de genre. Qui plus est, il peut ici ou là les perpétuer si on n’en a pas conscience, dans la mesure où le sport est encore un domaine où les hommes sont surreprésentés. Eclairage sur ces inégalités et la façon dont le sport peut contribuer à leur déconstruction.
En 1912, on attribue à Pierre de Coubertin, le rénovateur des Jeux olympiques modernes, la citation suivante : « une Olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l'adulte mâle individuel. Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs.[1] » Plus d’un siècle après, force est de constater que les mentalités ont quelque peu changé, a fortiori au cours des dernières décennies : le nombre de femmes participants aux Jeux olympiques d’été est passé de 34 % à Atlanta (1996) à 48 % à Tokyo (2021). Aux Jeux olympiques d’hiver de Beijing, en 2022, 45 % des concurrents étaient des femmes, tandis que les Jeux olympiques de la jeunesse de Buenos Aires, en 2018, étaient le premier événement olympique à compter le même nombre de femmes que d’hommes.
Le sport n’est pas épargné par les stéréotypes de genre. Il « est considéré comme un domaine plutôt masculin. Il contribue à la formation et à la reproduction de la définition dualiste du physique féminin et masculin, les femmes étant considérées faibles et les hommes forts, comme un phénomène naturel[2] », nous indique Vanessa Lentillon, chercheuse en éducation physique.
Comme le souligne Hélène Bennès, consultante pour Sportanddev, dans un article sur la question, « la sous-médiatisation du sport féminin, les inégalités salariales, le manque d’infrastructures dédiées à la pratique de haut niveau, le fait que les femmes ne bénéficient pas des mêmes opportunités que les hommes confortent un manque de visibilité, de reconnaissance et de notoriété[3]. »
Les stéréotypes de genre entravent la participation des femmes et des jeunes filles au sport dans l’espace francophone
Aujourd’hui encore, ces stéréotypes perdurent et certains sports sont considérés féminins ou masculins, tandis que les femmes sont sous-représentées dans la pratique et les métiers du sport.
Les résultats d’une récente étude menée par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) sur la participation égale au sport en Francophonie vont dans ce sens et soulignent que les stéréotypes socio-culturels demeurent un obstacle prépondérant à la participation des filles et jeunes femmes au sport, ainsi qu’à leur représentation dans les instances de gouvernance et les métiers du sport.
Au Sénégal, par exemple, 25 % des jeunes licenciés sportifs sur les années 2018-2022 sont des femmes et de grandes disparités existent entre différents sports (elles sont 33% au basket-ball et 0,07 % au football). Le contraste est encore plus marqué lorsqu’on regarde les instances de décisions : sur plus de 70 fédérations et groupements sportifs existant au Sénégal, les femmes ne représentent que 12% des effectifs. Ce constat est également observé dans les quatre autres pays considérés par cette étude, avec quelques variations selon la discipline et l’exception notable de l’athlétisme et du basket-ball en République démocratique du Congo, que les femmes pratiquent davantage que les hommes.
Les stéréotypes de genre contribuent à la perpétuation d’une sous-représentation des femmes dans le domaine du sport, et par là, à une inégalité de fait entre les jeunes femmes et les jeunes hommes pour réaliser leur plein potentiel, exploiter et mettre en avant leur talent, mener des carrières, se réaliser en tant qu’êtres humains.
Toutefois, si l’on prend conscience de ces inégalités et des stéréotypes de genre qui y contribuent plus ou moins largement, le sport peut devenir un formidable outil pour faire évoluer les mentalités vers une société plus inclusive et égalitaire entre les femmes et les hommes.
Le sport comme outil pour déconstruire les stéréotypes de genre
La pratique sportive permet de véhiculer des valeurs : le sens de l’effort, de l’excellence et du dépassement de soi tout d’abord, et celles de l’entraide, de la responsabilité, du leadership, de la cohésion pour ce qui concerne des sports collectifs notamment. Elle permet aussi de sociabiliser avec ses semblables, de s’intégrer à sa communauté et de s’épanouir aussi bien physiquement que mentalement et socialement. On le voit, en tant que tel, le sport apporte un tas de bienfaits mais ne permet pas de déconstruire in sine les stéréotypes de genre : il faut avoir conscience de ceux-ci et utiliser le sport comme un outil pour ce faire.
En milieu scolaire, par exemple, favoriser la pratique du sport pour toutes et tous, en proposant des des activités sportives mixtes et la découverte de sports dits « genrés » permet de sensibiliser dès le plus jeune âge aux stéréotypes de genre et de changer les attitudes sur et en dehors du terrain[4].
Soutenir les structures sportives et associations locales qui développent des filières masculines/féminines dans les sports dits « genrés » ou des filières mixtes, ou qui organisent des cours d’initiation, des journées découverte, des tournois féminins ou mixtes, etc. peut faciliter l’entrée des femmes et des jeunes filles dans le domaine du sport. Par exemple, le Prix du Parlement de la Communauté française (Fédération Wallonie-Bruxelles) pour la Promotion du sport féminin a récompensé en 2021 la première équipe cycliste féminine de Wallonie[5].
Les médias jouent également un rôle crucial pour faire du sport un allié dans la lutte contre les stéréotypes de genre. Par la médiatisation des disciplines féminines tout d’abord et donc leur couverture médiatique, par l’inclusion de femmes dans les rédactions sportives, par la mise en valeur des championnes ou encore par la sensibilisation des rédactions aux questions de discrimination et d’égalité, etc. Cette dernière question est essentielle, tant ces dernières années ont vu des sportives subir des remarques sexistes de la part de journalistes ou commentateurs montrant que la diffusion seule du sport féminin n’est pas une solution miracle[6].
Dans pas mal de disciplines sportives, médiatisation et professionnalisation se renforcent mutuellement, un mariage qui favorise l’apparition de sportives de haut-niveau, de performances remarquables, de championnes inspirantes. Que ce soit dans le sport en tant que tel ou dans les métiers du sport, les rôles modèles féminins sont essentiels pour pouvoir faire rêver et inspirer les jeunes générations et montrer qu’il est possible, pour les femmes et les jeunes filles, de mener une carrière dans le domaine du sport.
Dans son article, Hélène Bennès synthétise : « Grâce à sa dimension médiatique, le sport peut jouer un rôle important dans la promotion de l’égalité de genre. Accroître la visibilité du sport féminin permet de bousculer les conceptions traditionnelles de la masculinité et de la féminité. De plus, une médiatisation soutenue du sport féminin contribue à la création de modèles féminins auxquels les petites filles (et les petits garçons) peuvent s’identifier. En tant qu’agents de socialisation primaire, les médias et la télévision ont le pouvoir d’amorcer un changement durable des mentalités[7]. »
A nous d’utiliser le sport pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes
Le sport appartient à toutes et tous. A chacune et chacun d’entre nous de le garder à l’esprit et de faire en sorte que le sport contribue à la déconstruction des stéréotypes de genre, en s’intéressant aux compétitions et aux sportives féminines, en découvrant des disciplines que l’on associe comme réservée aux femmes ou aux hommes, en soutenant les jeunes femmes et les filles dans leur pratique du sport, quel qu’il soit. « Le sport a le pouvoir de modifier, à terme, les constructions mentales et subjectives, variables et évolutives inhérentes à la notion de genre » résume Hélène Bennès.
Aux Jeux de la Francophonie, la grande majorité des disciplines sportives et culturelles sont ouvertes aussi bien aux femmes qu’aux hommes (la compétition de basketball est réservée aux femmes et la compétition de football aux hommes). TV5Monde propose une programmation spéciale pour suivre les cérémonies d’ouverture (28 juillet) et de clôture (6 août) ainsi que les différentes épreuves de la IXe édition qui débute à Kinshasa (République démocratique du Congo) dans quelques jours. Une belle occasion pour découvrir des sports, des arts et s’intéresser aux performances des championnes et futures championnes qui y participent ! Retrouvez ici le programme des compétitions sportives et culturelles.
En marge des compétitions sportives, le Pavillon de la Francophonie accueille tout au long des Jeux des animations et discussions passionnantes. Le 1 août, entre 10h30 et 12h, l’Unité jeunesse, sport et citoyenneté a invité plusieurs expertes à participer à la table ronde intitulée « Au-delà des stéréotypes : Encourager l’égalité dans le sport ». L'enregistrement de cette discussion passionnante est disponible sur Youtube :
[1] https://journals.openedition.org/genrehistoire/7603
[2] https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2009-1-page-15.htm#
[3] https://www.sportanddev.org/fr/dernier-contenu/nouvelles/combattre-les-st%C3%A9r%C3%A9otypes-de-genre-%C3%A0-travers-le-sport
[4] https://www.sportanddev.org/fr/dernier-contenu/nouvelles/combattre-les-st%C3%A9r%C3%A9otypes-de-genre-%C3%A0-travers-le-sport
[5] https://www.dhnet.be/sports/cyclisme/2021/01/20/ludivine-henrion-recoit-le-prix-pour-la-promotion-du-sport-feminin-JSNOCEHPJJDEVHOHOSEEICH6S4/
[6] https://www.ecoledujournalisme.com/wp-content/uploads/2019/12/M%C3%89MOIRE-DE-RECHERCHE-Vanessa-Maurel-SP-EDJ-2019.pdf, pp. 37-51.
[7] op. cit.